Le procédé est extrêmement simple. Le prof parcourt l'internet à la recherche de photos pour fabriquer un collage. L'enseignant veille à ce que le résultat obtenu soit insolite pour pouvoir titiller l'imagination de l'apprenant. La consigne donnée à celui-ci est d'écrire un court texte de fiction inspiré par le collage.
En guise d'exemple:
Photo distribuée
Texte-exemple
Nature
Capitale
Jean-Michel
Doppagne goûtait un repos bien mérité en Corse après une campagne
particulièrement mouvementée et éprouvante.
Jeune politicien plein d’ambition, il avait suivi à la lettre les
recommandations de son mentor, Baptiste Donnadieu, député de la première
circonscription de Toulouse. Celui-ci lui avait suffisamment fait comprendre combien la suprématie du
mouvement écolo ces dix dernières années l’exaspérait au plus haut point et
qu’il était temps de damer le pion à ces gauchistes qu’on croyait tout droit
sortis du siècle passé, ne jurant que par « Woodstock » ou autre rassemblement
fantaisiste revenu à la mode dans les années dix. Comble d’ironie, ce subit
regain d’intérêt pour le vert, le bio, le botanique qui allait placer le Parti
Ecolo sur les rails du pouvoir avait vu
le jour sous le gouvernement conservateur de Sarkozy, à l’occasion d’une
manifestation rendue populaire à grand renfort de publicité, l’opération
« Nature Capitale ». En 2011, il s’agissait modestement de
recouvrir les Champs-Elysées d’un gazon vert tendre paré d’une centaine
d’espèces d’arbres pour – aux dires des organisateurs – sensibiliser le public
à la biodiversité, à l’écologie et aux questions que ne manquait pas de
soulever le développement durable. Depuis cette grande célébration de l’utopie verte comme l’aimait à la
baptiser Donnadieu, l’Europe tout entière s’était soudain senti l’âme jardinière :
Big Ben au milieu des tournesols, le Colisée tapissé de roses, le Prado devenu
un marché de fruits et de légumes, chaque capitale européenne s’était surpassée
pour impressionner le touriste bio...
Donnadieu
avait donc confié à Doppagne une mission : il s’agissait d’éclipser tous
ces médiocres en soumettant un projet encore plus grandiose, encore plus
impressionnant, encore plus vert ! De ce projet dépendait l’avenir de leur
parti et la confiance des électeurs. Il fallait battre les écolos sur leur
terrain ! Et c’est là que Doppagne avait eu son idée de génie :
fertiliser le champ de Mars pour faire honneur à son nom car après tout, il
devait bien s’agir à l’origine d’un champ! Il s’était dépêché de contacter les
grands noms de la science botanique et agricole, tâche rendue facile par les
nombreux contacts que lui assurait le patronage de Donnadieu qui, en
ex-ministre del’Education et de la Recherche, avait encore ses entrées au CNRS
(Donnadieu aimait rappeler qu’à son époque on ne perdait pas son temps à la
création d’un Ministère du développement durable !). Doppagne s’était ainsi lié à un éminent
botaniste (qui préférait garder l’anonymat), jadis contacté par le gouvernement
israélien pour transformer l’aride désert du Néguev en ce qui était devenu une
des plaines les plus fertiles au monde. Le secret du botaniste consistait à
concocter un mélange savamment dosé d’engrais naturels et de fertilisants
chimiques aux propriétés connues de lui seul, pour métamorphoser la nature la
plus revêche en grenier à blé, maïs, coton, arachide ou tout autre plante
supposée assurer l’autonomie agricole d’une région donnée.
«
Pas d’excès, surtout, mon petit Doppagne ! » lui avait recommandé
Donnadieu.
« Rappelez-vous qu’il faut en
jeter plein la vue mais sans en faire trop.
Savoir naviguer entre l’austère et le pompier entre le sobre et le
kitsch, c’est là qu’on reconnaît les génies ! Je vous fais confiance, ne
me décevez pas ! »
Tandis
que Doppagne se remémorait les épisodes glorieux de son ascension politique et,
en particulier, ce coup de maître
consistant à « amener la campagne au pied de la tour Eiffel »,
comme le rappelaient partout dans la capitale les posters annonçant l’événement
, il sentit vibrer dans la poche de son short le beeper que lui avait remis Donnadieu.
« Prenez quelques jours de repos, vous en
avez le plus grand besoin ! », lui avait-il dit en lui confiant les
clés d’une maison de vacances qu’il possédait en Corse.
« Je
vous conseille de vous couper du monde pendant quelques jours car les
journalistes, cameramen et blogueurs du monde entier tiendront à vous voir et
mendieront des interviews. Patientez quelques jours et vous aurez la France
tout entière à vos pieds. Les écolos feront leurs valises et s’efforceront
d’oublier d’avoir voulu briller dans la cour des grands. On ne devient pas
politicien, mon petit Doppagne. On l’est ! C’est une seconde
nature ! Vous, vous faites partie des vrais de vrais. Donnez-moi 5 ans et
je vous céderai volontiers mon siège. Vous l’aurez bien mérité... »
Et c’est
pourquoi Doppagne avait quitté Paris en hâte, laissant derrière lui son
portable, et son ordinateur, leur
préférant une série de Folios qu’il s’était promis de lire il y a déjà bien
longtemps. Donnadieu lui avait parlé du
confort assez fruste de la villa : pas de télé, pas de radio, juste une
ligne téléphonique en cas d’urgence. Exactement ce qui convient pour échapper
à la fièvre médiatique ! Et Doppagne s’était envolé pour Ajaccio sans
même avoir pu contempler l’oeuvre qu’il avait créée, avec pour seul contact
avec le monde ce beeper au fond de sa poche. Un rapide coup d’oeil à l’appareil
lui permit d’identifier le numéro d’appel de Donnadieu. Doppagne accéléra le
pas, se permit même quelques foulées sur le sable chaud de Saleccia et
c’est le coeur battant - résultat
de son excitation autant que de sa course improvisée – qu’il pénétra dans la
villa de son patron et se précipita sur le téléphone. Midi approchait. Donnadieu
avait certainement appelé de son cossu appartement de la Place des Vosges pour le féliciter. Doppagne forma fiévreusement le numéro... Au bout de deux sonneries à peine, son
interlocuteur décrocha :
« -
Doppagne !
» aboya la voix au bout du fil. « Vous êtes un fieffé
crétin et je ne sais pas ce qui me retient d’envoyer une horde de maffiosi
corses à vos trousses pour en finir avec votre triste existence !
-
Qu’est-ce qui se passe ? Je ne comprends pas...
- Vous
ne comprenez pas ? « Amener la campagne à la ville », c’était
bien votre idée, non ? Est-ce que je vous ai demandé d’être aussi
littéral ? Et votre spécialiste du Néguev, il n’a pas eu la main un peu
lourde avec ses dosages ?
- Je ne
vois toujours pas le problème ?
- Ah
non ? Dans ce cas, écoutez-moi bien. C’est le dernier conseil que vous
recevrez de ma part, mon vieux. Quittez ma villa, envoyez-moi les clés par la
poste, rendez-vous dans le premier bistro venu et voyez ce qu’on diffuse en
boucle à la télé depuis 24 heures ! Et cachez-vous, Doppagne. Surtout,
cachez-vous ! »